Le prix de ces innovations qui nous rendent la vie « plus facile »
Dans nos sociétés hyper-connectées, jamais les tâches du quotidien n'ont paru si faciles. Commander la domotique de sa maison : l'assistant virtuel le fait pour vous. Placer un produit dans son panier ou le laisser sur un rayon : le Nutriscore vous indique que choisir. Mais ces innovations n'ont pas que des avantages : entre l'espionnage de votre vie privée par les enceintes connectées ou la simplification à l'extrême des choix alimentaires par le Nutriscore, mieux vaut, parfois, s'accorder le temps de la réflexion.
L’assistanat, ce « cancer » qui rongerait la société française. Depuis la sortie médiatique de cet ancien ministre, l’expression a fait florès, tant chez les contempteurs du modèle social français que parmi ses défenseurs ; une polémique qui, en centrant le débat sur les prestations sociales, fait l’impasse sur une réalité peu reluisante : nous sommes, d’ores et déjà, entrés de plain-pied dans une société du moindre effort. En témoigne, par exemple, le succès non-démenti des services de livraison à domicile, qu’il s’agisse des vêtements, des plats préparés en restaurant ou même des courses alimentaires, désormais livrées jusque dans les bacs des réfrigérateurs des clients. Ou encore, dans un autre registre, celui des assistants vocaux.
Vers une société du moindre effort
Alexa, Siri, Google Home Mini, Echo Dot, Apple Home Pod… Ces assistants vocaux et enceintes connectées ont réalisé une entrée fracassante dans les foyers, surfant sur une promesse simple : réduire l’effort physique au strict minimum, tout – ou presque – pouvant désormais être commandé à distance et demandé vocalement à ces véritables concierges virtuels. Allumer, régler et éteindre les lumières, monter ou baisser le chauffage, verrouiller les portes, baisser les stores, commander un taxi, démarrer la musique ou la radio, programmer l’alarme, inscrire un événement à son agenda, consulter la météo, diffuser une recette de cuisine, connaître l’état du trafic routier, etc. : un nombre quasi-infini de tâches peuvent aujourd’hui être déléguées, et ce sans effort physique ni perte de temps.
Gagner du temps et de l’énergie en s’épargnant certaines tâches contraintes : pourquoi pas. Mais qu’en est-il de ces « innovations » qui se proposent de nous épargner tout effort… psychique ? Ainsi du Nutriscore, par exemple : apparu en 2017 sur les emballages alimentaires, le logo classant les aliments de A à E ne serait-il pas l’aboutissement d’un certain « assistanat intellectuel » ? Infantilisant au possible, le Nutriscore part en effet du principe selon lequel les consommateurs seraient, en quelque sorte, incapables de lire ou d’interpréter eux-mêmes les informations nutritionnelles déjà présentes, de manière obligatoire, sur les emballages. Autrement dit, avec son code couleur le Nutriscore privilégie « une dimension morale » à « une dimension d’efficacité à partir d’une base scientifique », estimait en 2020 le docteur en santé publique Christophe de Brouwer, selon qui « on ne rend pas plus intelligent le consommateur en essayant d’homogénéiser son comportement alimentaire par ce genre d’injonction ».
Peser le pour et le contre
On l’aura compris : en matière « d’innovations » destinées à nous faire gagner du temps, le mieux est, parfois, l’ennemi du bien. Recourir à de telles avancées technologiques – les notations du Nutriscore reposent, à ce titre, sur un algorithme – nécessite donc de faire preuve de discernement, tant les « effets secondaires » de certaines solutions peuvent se révéler dangereux. Revenons à nos enceintes connectées et autres assistants vocaux : pour toujours mieux reconnaître notre voix et améliorer leur intelligence artificielle, ces outils activent automatiquement leurs micros plusieurs fois par jour, à notre insu. Chaque jour, ce sont ainsi plusieurs minutes d’enregistrement qui sont captées par ces dispositifs puis envoyées, pour analyse, aux serveurs des entreprises concernées. Un véritable espionnage en règle de notre vie privée, qui s’étend aussi aux téléphones portables : qui n’a jamais été surpris de voir tel ou tel sujet apparaître sur son smartphone quelques minutes après en avoir parlé à voix haute avec un proche ?
Inquiétantes, ces dérives ne sont pour autant pas rédhibitoires. Mais peut-on en dire autant du Nutriscore ? Car le logo alimentaire ne se contente pas d’infantiliser le consommateur en lui enjoignant de choisir tel ou tel produit au détriment de tel ou tel autre, et ce sans lui fournir d’explication ; il l’induit, de surcroît, en erreur. En fondant son choix sur le Nutriscore, le consommateur pressé est en effet en droit d’espérer que les produits bien notés soient, globalement, meilleurs pour sa santé que les autres. C’est à cela que sert, supposément, le fameux code couleur : simplifier le choix – quitte à être simplificateur à l’extrême. Le Nutriscore, par exemple, ne tient pas compte du degré de transformation des aliments ; or on sait désormais que les aliments ultra-transformés des industriels de l’agroalimentaire jouent un rôle dans l’apparition de maladies chroniques, comme l’obésité, le diabète ou certains cancers.
Le Nutriscore ne tient pas davantage compte de la présence, ou pas, d’additifs dans les produits concernés. Son algorithme ne comptabilise pas non plus les protéines au-delà d’un certain pourcentage (8%), et ne fait pas la différence entre de bonnes graisses et les mauvaises. Autant d’aberrations qui expliquent pourquoi, dans les rayons des magasins, certains produits industriels (plats préparés, sodas, etc.) décrochent une bonne note, alors que d’autres produits traditionnels (fromages, charcuterie, huiles, etc.) écopent d’un calamiteux « E » ou « D ». Pour épargner du temps au consommateur, le Nutriscore aboutit donc au résultat inverse de celui escompté : détourner le client de certains produits nourrissants – qu’il sait instinctivement qu’il faut manger avec parcimonie –, pour le précipiter dans les bras de l’agro-industrie. Si, comme le disait Hippocrate en son temps, nous sommes ce