Le prix Nobel de Chimie récompense trois spécialistes de l’ADN
Le prix Nobel de chimie a cette année été décerné à trois chercheurs, Thomas Lindahl, Paul Modrich et Aziz Zancar, dont les travaux ouvrent des pistes pour lutter contre le cancer, de nombreuses maladies génétiques ainsi que le vieillissement. Le prix Nobel de chimie 2015 honore donc une nouvelle fois des travaux qui sortent du champ de la chimie et touchent aux sciences biologiques.
Le Prix Nobel de chimie récompense des mécanos de l’ADN
Alors que beaucoup donnaient comme favorite la chercheuse française star de la manipulation du génome Emmanuelle Charpentier, pour ses travaux en collaboration avec l’Américaine Jennifer Doudna sur un procédé permettant de découper et métamorphoser à volonté l’ADN de tout être vivant, le jury a choisi de récompenser un trio de chercheurs pour leurs découvertes fondamentales notamment dans la lutte contre le cancer et pour la compréhension des mécanismes du vieillissement. Ces pionniers, cités dans tous les manuels, sont le Suédois Thomas Lindahl, âgé de 77 ans, l’Américain Paul Modrich de l’université de Stanford, âgé de 68 ans et le Turc Aziz Zancar chercheur à l’université de médecine de Caroline du Nord âgé de 69 ans.
Dès les années 1960, Thomas Lindahl s’est penché sur la stabilité de l’ADN et sa manière de se dégrader, mettant en évidence le rôle de certains enzymes dans la réparation des dommages et modifications du capital génétique d’un individu. Aziz Zancar s’est intéressé à la vie des molécules, dressant une sorte de cartographie de la manière dont les cellules se régénèrent une fois soumises aux rayons ultra-violets. Quant à Paul Modrich, il a étudié de quelle façon les cellules réparent les erreurs survenues durant la division cellulaire, alors que sont reproduites les informations génétiques, issues de simples erreurs de recopiages mais aussi des nombreuses et constantes agressions subies par l’ADN au contact de son environnement.
Ces erreurs et mutations sont notamment à l’origine des cancers : le fonctionnement et l’activité des cellules sont perturbés par ces informations dégradées. Complètement déréglées, elles se multiplient de façon irrationnelle, formant des tumeurs. Il est désormais un fait certain que le cancer est une maladie de l’ADN. Comprendre les mécanismes de celui-ci, de sa dégradation ainsi que le rôle et l’action de ces enzymes réparatrices pourraient dès lors aider à lutter contre ces maladies, mais aussi contribuer à améliorer le fonctionnement des cellules défectueuses à l’origine des maladies génétiques.
Entretiens avec Terence Strick, directeur de recherche au CNRS et spécialiste du sujet.
En quoi consiste l’apport des trois lauréats ?
Lindahl a découvert que l’ADN se dégrade chimiquement tout seul. Il a montré qu’il se dégrade vite, et que cette vitesse n’est pas compatible avec les temps très longs nécessaires à l’évolution de la vie sur Terre. Et donc qu’il y avait forcément un mécanisme permettant à cet ADN d’être réparé. Modrich a identifié l’une des protéines clés dans une des voies de réparation, et Sancar en a identifié une autre.
Il y a donc plusieurs façons de réparer l’ADN ?
Oui, car il y a plusieurs types de dégâts : ceux dus à l’interaction avec l’environnement -exposition aux rayonnements UV, à certains produits contenus dans la fumée de cigarette, etc.-, mais aussi ceux produits quand la cellule se divise : l’ADN recopié avant la division cellulaire et afin que chaque cellule fille ait son propre ADN : comme il est très difficile de garantir une copie absolument parfaite, le plus souvent des erreurs de recopiage apparaissent dans l’ADN. Et pour chaque type de dégât, il y a un mécanisme de réparation.
Qu’arrive-t-il si l’ADN n’est pas réparé ?
Un ADN endommagé doit être réparé. S’il y a trop de dégâts, la cellule est censée se suicider, mais parfois elle ne le fait pas et il y a alors un risque qu’elle devienne cancéreuse.
Comprendre ce mécanisme de réparation est donc utile contre le cancer ?
Si un cancer apparaît, on peut le soigner par une chimiothérapie dont certaines endommagent l’ADN des cellules du patient. Cela provoque tellement de mutations que les cellules mutantes qui ne s’étaient pas encore suicidées ne peuvent plus survivre. Or, il se trouve que des patients ne sont pas guéris par ces chimiothérapies. On soupçonne que chez eux, le système de réparation a détricoté le travail du clinicien en permettant de réparer les dégâts causés par la chimiothérapie.
Y a-t-il d’autres applications ?
Oui, il y a par exemple des pathogènes qui, quand on veut les traiter, éteignent le système de réparation décrit par Modrich. Ça augmente le taux de mutation de leur ADN, ce qui fait que beaucoup de cellules pathogènes vont mourir, mais qu’il y aura peut-être, dans le lot, une cellule qui aura trouvé une parade au traitement. Ça nous rappelle d’ailleurs que toute mutation n’est pas mauvaise, et qu’il y a un équilibre entre réparation de l’ADN et évolution.
Peut-on imaginer qu’une meilleure réparation annule le vieillissement des cellules, et donc de l’Homme ?
Pour le vieillissement, on aura du mal à faire mieux que des milliards d’années d’évolution. Avec mon équipe, nous observons en direct ces mécanismes de réparation, qui demandent une très grande coordination de tous les acteurs impliqués. Leur efficacité est absolument remarquable, et il est peu probable qu’on arrive à l’améliorer. Mais on pourra essayer de trouver des façons d’inhiber ces systèmes de réparation dans des cellules cancéreuses afin de les rendre plus vulnérables aux anticancéreux.
Sources 20minutes.fr