Course contre la montre et pénuries pour l’ambulance de Samos
Avoir à “choisir qui vit et meurt” est devenu la hantise de Georgia Tolli, secouriste sur l’île grecque de Samos, depuis que la réduction des effectifs a laissé un seul équipage de secouristes en charge de toutes les urgences médicales.
En novembre, un motard accidenté est mort pendant que les sauveteurs intervenaient à un autre endroit de l’île.
Quelques semaines plus tard, l’ambulance s’est déroutée vers un accident de la circulation alors qu’elle était partie pour une urgence cardiaque au domicile d’une personnes âgée, qui n’a pu être sauvée. “Quand je suis arrivée à Samos, explique Georgia, il y avait au moins deux ambulances de permanence sur l’île”, territoire de 30.000 habitants à l’est de la mer Egée, aux routes sinueuses où deux bonnes heures séparent les villages les plus éloignés.
En 2010, explique la trentenaire, les 9 secouristes de l’EKAV de Samos — équivalent grec du SAMU — étaient épaulés par cinq ambulanciers de l’hôpital, qui n’ont pas été remplacés, au fil des départs en retraite.
365 jours de garde
Au bord de la faillite en 2009, la Grèce a été contrainte à une réduction drastique de ses dépenses publiques. L’UE et le FMI, qui supervisent le programme d’assainissement budgétaire du pays, en échange de prêts internationaux, avaient placé la réorganisation du système de santé parmi leurs priorités.
Un objectif était d’endiguer les maux endémiques de l’hôpital public grec: gaspillage, corruption, mauvaise gouvernance. “Mais on n’a pas fait dans le détail, on a coupé tous azimuts”, reconnaît une source européenne en Grèce. La poursuite ou non de cette politique d’austérité est l’un des enjeux des élections législatives de dimanche, dont est favori le parti de gauche radicale Syriza.
Selon l’OCDE, le budget santé par habitant en Grèce a baissé de 25% entre 2009 et 2012. La contrainte ne s’est pas desserrée depuis.
Des hôpitaux d’Athènes à ceux des îles, les doléances sont sans fin.
A l’hôpital régional de Samos, il manque vingt médecins pour 38 actuellement en poste et une trentaine d’infirmiers sur 111 postes existants tandis que l’équipe administrative a perdu 22 postes en deux ans, explique le directeur Giorgos Ragoussis.
A la liste des spécialistes absents (gastro-entérologue, endocrinologue, psychiatre, oto-rhino), s’ajoutent celles qui reposent sur un seul médecin chacune: “ophtalmologiste, neurologue, urologue, pneumologue, microbiologiste”, égrène Stamatis Filippis, représentant du personnel. “Pendant un an, l’hôpital n’a eu qu’un cardiologue. Comment faire reposer cette spécialité vitale sur une seule personne 365 jours par an ?”, observe Vassiliki Veloni, médecin à l’unité de soins intensifs.
Le poste d’oto-rhino avait été pourvu récemment, raconte le directeur, mais seul pour toutes les gardes, “le médecin a tenu quatre mois”. La particularité insulaire accentue la difficulté: “sur le continent, si une spécialité manque, vous allez dans la ville d’à côté, ici ce n’est pas possible”, souligne M. Filippis.
Il ne se plaint pas: “les médecins font de leur mieux”.
Samos, face à la Turquie, est à une dizaine d’heures de bateau d’Athènes ou à 90 euros d’avion, en s’y prenant en avance. De son hôpital dépendent aussi quelque 12.000 habitants des îles voisines.
Leonidas Saphos est venu d’Ikaria, à quatre heures de bateau, pour accompagner son frère, insuffisant rénal. Départ d’Ikaria à 03H00 du matin. Sirotant un café devant l’hôpital, il espère qu’ils pourront attraper le bateau du retour, à 16h00. “Vous pouvez tomber sur un jour où il n’y a pas de cathéter ou pas de seringue. C’est généralement temporaire mais ce n’est pas normal de travailler dans ces conditions”, se désole le docteur Veloni.
Son unité de soins intensifs emprunte ces temps-ci l’électrocardiogramme de la maternité: “l’hôpital doit de l’argent à l’entreprise qui devrait venir le réparer”, explique-t-elle.
Et elle ne parle pas spontanément de son salaire, passé “d’environ 3.000 à 2.000 euros mensuels, dont 750 euros pour 15 jours de garde”, tandis que l’infirmier Filippis, 25 ans d’ancienneté, gagne 850 euros contre 1.600 en 2009.